Premiers commentaires sur l’amendement n°463 adopté par
l’assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi sur l’économie
sociale et solidaire.
[Mis à jour au 2 juillet avant l’adoption de la loi]
Le gouvernement précédent avaient
chargé Jean-Philippe Magnen d’une mission sur les monnaies locales
complémentaires (MLC) pour faire un état de la situation et déterminer si des
mesures législatives étaient nécessaires. Avant même la parution de ce rapport
(dont on sait qu’il dira que les MLC sont une nécessité), le gouvernement a
déposé un amendement devant l’Assemblée nationale lors de la séance du 14 mai
introduisant la notion de « monnaies locales complémentaires ».
Cet amendement a été adopté dans
le projet de loi sur l’Economie sociale et solidaire (LESS) à l’article 10
quater qui ne comportait aucune disposition propre aux monnaies locales. Il lui
reste néanmoins, à passer sous les fourches caudines d’une deuxième lecture pour
entre dans le Code monétaire et financier.
Avant d’analyser ce que cet amendement changerait s’il
venait à finir son parcours législatif, penchons-nous sur le traitement réservé
à ces monnaies franches par le droit en vigueur.
L’émission de monnaies locales complémentaires est
assimilée à une « opération de mise à dispositions de la clientèle ou de
gestion de moyens de paiement ». Une telle activité est dès lors interdite
par toute personne autre que les établissements bancaires ayant reçu un
agrément. C’est le monopole bancaire.
La demande d’agrément doit être formulée, avant
le commencement de l’activité, auprès de l’autorité de régulation du secteur de la banque et des assurances (l’Autorité
de contrôle prudentiel et de régulation, « ACPR »). Ce dernier
entamera une procédure par laquelle il vérifiera la qualité des dirigeants,
leurs compétences en matière de gestion bancaire, l’organisation de
l’entreprise, etc. Cette procédure doit permettre de s’assurer que l’entreprise
émettrice sera en mesure de respecter les normes prudentielles. Il s’agit
surtout de vérifier qu’elle dispose des garanties nécessaires qui protégeront
les droits des détenteurs de monnaie émise et la stabilité du système monétaire
et financier. Or la mise en place d’une telle structure n’est pas dans les
moyens d’une initiative locale.
Par exception à la nécessité d’obtenir un
agrément, des dispenses ont été prévues par le Code monétaire et financier suivant
les types de moyens de paiement : articles L. 521-3 (pour les
services de paiement), L.525-5 (pour la monnaie électronique) et L.511-7, 5° et
L.511-7, II° (pour les services bancaires de paiement). Pour être éligible à
ces dispenses les monnaies locales complémentaires doivent être acceptées « pour
l'acquisition de biens ou de services, que dans les locaux de cette entreprise
ou, dans le cadre d'un accord commercial avec elle, dans un réseau limité de
personnes acceptant ces moyens de paiement ou pour un éventail limité de biens
ou de services ».
De ces
critères d’« accord commercial », de « réseau limité de
personnes » ou d’« éventail limité de biens ou de services », il
faut bien convenir qu’ils appliqueront plus facilement aux entreprises,
notamment de la grande et moyenne distribution, qu’à des monnaies locales. En
effet, ces dispenses ont été rédigées pour des cartes cadeaux, de prépaiement
etc.
Devant
une telle inadéquation, les collectivités locales hésitent à soutenir des
initiatives de monnaie locale parce qu’elles portent potentiellement atteinte
au monopole bancaire. Les porteurs de ces projets n’osent demander une dispense
à l’ACPR du fait des critères d’exemptions trop défavorables.
La dispense
est accordée par l’autorité de contrôle prudentiel et de régulation en fonction
des critères posés par la loi. Le dispositif mis en place par la loi est donc
premier. Si le projet de monnaie locale respect les conditions de la loi, elle
peut commencer son activité.
A l’inverse si
l’autorité de régulation estime
que le projet ne peut bénéficier de la dispense, il lui intime l’ordre de
déposer un dossier d’agrément ou de cesser son activité. Cependant, le fait de
bénéficier d’une dispense n’est plus un sésame. En effet, depuis une décision
récente du Conseil d’Etat, l’ACPR est en droit d’assortir sa décision de dispense
« de conditions tenant aux modalités de gestion des moyens de paiement ».
L’autorité de régulation bancaire a
expliqué sa politique en la matière dans un article « les monnaies locales »
publié dans la revue de l’ACPR en 2013.
N’entrent donc
pas dans le champ du droit bancaire, les monnaies locales corporelles – sous
forme de coupons ou de bons – lorsque certaines conditions sont réunies : elles
ne doivent être ni remboursable, ni fractionnables et ne peuvent donner lieu à
aucun rendue de monnaie.
Soulignons
simplement que les monnaies locales se doivent au moins être partiellement, et
peut-être exceptionnellement, remboursables notamment pour les commerçants.
Ceux-ci, doivent pouvoir bénéficier d’une porte de sortie lorsque, de par leur
situation, ils reçoivent plus de monnaie locale qu’ils ne peuvent dépenser. Il
revient aux émetteurs de monnaies locales d’intégrer ces contraintes, du moins
juridiquement, dans leur modèle de fonctionnement pour rester à l’écart du
droit bancaire.
En effet, le
critère redouté du « réseau limité » ne s’applique pas dans de telles
circonstances. La collecte des fonds étant libre, ce qui pose problème au
regard du droit bancaire est la fonction d’intermédiation, soit le reversement
des fonds à un commerçant par exemple. L’enjeu, pour développer une telle
monnaie locale, se déplacerait alors exclusivement vers le remboursement des
commerçants et autres accepteurs.
Le débat
juridique sur l’intermédiation se pose dans des termes qui rappellent celui des
opérations exécutées par un appareil de
télématique. En vertu de la directive ceux-ci sont exemptés lorsque « l'opérateur
du système de télécommunication, numérique ou informatique n'agisse pas uniquement
en qualité d'intermédiaire entre l'utilisateur de services de paiement et le
fournisseur des biens ou services ». Or à l’inverse, en vertu des
« services [de paiement] 7 » l’opérateur exécute une opération de
paiement lorsqu’il agit « uniquement en qualité d'intermédiaire entre
l'utilisateur de services de paiement et le fournisseur de biens ou
services ».
Ce qui
apparait avec ce rapprochement est le critère de la valeur ajoutée (ou
l’intégration) qu’apporte l’opérateur lorsqu’il fournit un service de paiement.
Rapporté aux monnaies locales, l’émetteur devrait alors constituer avec les
accepteurs, soit les commerçants ou les collectivités locales, une entité
juridique. On peut penser que la forme d’une association pourrait s’avérer
alors suffisante pour échapper au droit bancaire.
Pour les
autres formes monétaires, l’ACPR se réfère au droit des services de paiement (commerciaux).
L’amendement propose de créer au
sein Code monétaire et financier une nouvelle section dans le titre Ier du
livre III (Les services) intitulé « Les opérations de banque, les services
de paiement et l'émission et la gestion de monnaie électronique ».
Cette section répondant au titre
de « Définition des titres des monnaies locales complémentaires » comprendrait
deux articles rédigés ainsi :
« Art. L. 311‑5.– Les titres de
monnaies locales complémentaires peuvent être émis et gérés par une des
personnes mentionnées à l’article 1 de la loi n° …. du ….. relative à
l’économie sociale et solidaire, dont c’est l’unique objet social.
« Art. L. 311‑6. –
Les titres de monnaies locales complémentaires sont soumis aux dispositions du titre Ier du livre V du
présent code lorsque leur émission
ou leur gestion relèvent des services bancaires de paiement mentionnés à
l’article L. 311‑1, des services de paiement au sens du II de l’article
L. 314‑1 ou de la monnaie électronique au sens de l’article L. 315‑1. »
Les
entreprises de l’économie sociale et
solidaire (les futures EESS) seraient légalement admises à émettre des monnaies
locales complémentaires (virtuel art. L.311-5, C. mon. fin.). Sont présumées
bénéficier de cette qualité d’EESS, les entreprises disposant d'un statut
traditionnel de l'économie sociale (associations, coopératives, mutuelles,
fondations). Les autres entreprises, essentiellement les sociétés commerciales,
doivent respecter certaines conditions afin de prétendre à cette qualité (art.
1 du projet de loi sur l’économie sociale et solidaire).
L’essentiel est cependant là, une association
régit par la loi de 1901, par exemple, peut émettre et gérer une monnaie
complémentaire. Le problème n’est pas la personne morale comme en matière
bancaire : comme toutes les structures, elle aura à mettre en place des outils
de gestion. Mais, elle sera dépositaire de la confiance que lui accorderont la
population locale et surtout les entreprises locales.
Cependant par peur des
accidents, l’amendement impose un légitime principe de spécialité (1). En
revanche, il se contredit en voulant soumettre les MLC au droit bancaire (2).
Les EESS ne peuvent
émettre des monnaies locales complémentaires qu’à la condition d’en faire leur
unique objet social (virtuel art. 311-5, C. mon. fin.). En d’autres termes, la
sphère d’activité d’un émetteur sera limitée. Les acteurs de l’économie sociale
auraient sans doute préféré avoir également le droit d’employer une partie des
encaissements pour distribuer des micro-crédits. Ainsi, une EESS qui émettrait
sa monnaie locale contre de la monnaie légale récolterait quelques fonds. Si le
système de monnaie locale est bien configuré, l’EESS pourrait se retrouver avec
quelques réserves à redistribuer sous forme de prêt. Or le monopole des
opérations de crédit appartient encore par principe aux banques. Il existe
néanmoins un certain nombre de dérogations pour différents préteurs sociaux (V.
C. mon. fin. art. 511-6, al. 2). Il reste à savoir à quelles conditions il
serait possible de combiner ces activités.
Même sans possibilité de
prêt, les ressorts d’une circulation monétaire locale offrent aux émetteurs de
MLC des vecteurs de communication pour faire vivre la société locale. Il serait
contre-productif de réduire ceux-ci au régime des moyens de paiement
commerciaux.
L’article L.311-5 apparait comme une dispense
légale d’agrément en faveur des EESS. Nul besoin de demander une
dispense d’agrément auprès de l’autorité
de régulation bancaire, l’EESS qui émet une monnaie sociale se retrouve
plénipotentiaire sur sa monnaie, à condition bien évidemment de respecter les
conditions de la qualité d’EESS et l’objet social unique.
Néanmoins, le second
article de l’amendement, l’article L.311-6, soumet les mêmes monnaies locales
complémentaires :
« aux
dispositions du titre Ier du
livre V du présent code lorsque
leur émission ou leur gestion relèvent des services bancaires de paiement
mentionnés à l’article L. 311‑1, des services de paiement au sens du II de
l’article L. 314‑1 ou de la monnaie électronique au sens de l’article
L. 315‑1 ».
L’article L. 311-5 ne
définit pas les monnaies locales complémentaires. Cela n’est guère étonnant
dans la mesure où il n’existe pas de définition ni générale, ni homogène des
monnaies locales complémentaires (il ne peut s’agir uniquement d’une unité de
compte spécifique comme l’avance B. Allain). Cela s’explique assez facilement
par la plasticité des mécanismes sociaux sur lesquels reposent ces monnaies. Aussi
les émetteurs de MLC recourent à des mesures adaptées aux objectifs
qu’ils peuvent poursuivre : activité économique locale, solidarité, éthique,
écologie, soutient aux emplois locaux… Dans cette perspective, les émetteurs
adoptent des règles singulières (inconvertibilité partielle, taxe de sortie,
avantages particuliers, fonte ou dépréciation des instruments pour inactivité,
etc…) permettant d’entretenir la dynamique sociale de leur monnaie, comme
d’autres rivalisent d’ingéniosité pour assurer la visibilité de leurs produits
(pensons aux cartes cadeaux) sur le marché.
Or cette absence de
définition contribue, en l’espèce, à dénaturer la spécificité des monnaies
locales complémentaires :
Puisque l’article L. 311-5
ne définit pas les MLC, c’est à l’article L.311-6 que revient la fonction de
tracer une frontière : l’émission
de monnaies locales complémentaires est
libre tant qu’elle ne relève pas du droit bancaire.
Le mécanisme est donc très similaire au droit
en vigueur : une dispense certes attribuée de plein droit par la loi mais
encore une dispense étroitement encadrée par le droit commun bancaire. Penser et
proposer la séparation des monnaies locales et du droit bancaire est une grande
avancée.
Cependant, cette séparation s’opère sous la
domination exclusive du droit bancaire qui définit les services bancaire de
paiement, les services de paiement et la monnaie électronique. Or, il suffit de
se mettre à la place de l’autorité de régulation qui sera d’autant plus pressée
d’appliquer le droit bancaire qu’elle ne saura rien des émetteurs de monnaie
électronique puisque ceux-ci sont libres d’exercer leur activité.
L’intervention de l’autorité de contrôle
prudentiel et de régulation est précieuse. Elle l’est requise pour certaines « monnaies
locales complémentaires ». On pense au système Sonante, qui devrait
ressembler au WIR suisse, qui est une monnaie scripturale portant une marque
locale et fonctionnant sur des principes communs à la monnaie légale.
En revanche, la mission qui a été confiée à
l’autorité de régulation est de veiller à la stabilité du système
financier, même pris dans son ensemble, et à la protection des clients (L.
612-1 C. mon. fin.). Or on ne voit pas en
quoi cette mission justifie qu’elle contrôle les monnaies locales
complémentaires sur le modèle des moyens de paiement commerciaux. Il n’est pas
utile d’insister sur l’absence totale de dimension financière présente ou à
venir des monnaies locales. Quant à la protection des clients, il faut bien
remarquer que la plupart des détenteurs sont volontaires. Les détenteurs
dépensent leur argent et se dépensent eux-mêmes conformément aux objectifs
soutenus par chaque monnaie locale complémentaire. En cela, les monnaies
locales appartiennent bien plus au secteur caritatif qu’au secteur bancaire. Il
suffirait d’en informer les participants. Participants qui sont déjà avertis
que leur monnaie est souvent inconvertissable en euros.
Il ne reste
plus alors qu’à assurer la protection des accepteurs – qui sont pour certains
des détenteurs volontaires – notamment les commerçants. Or ces monnaies ne
disposant pas de cours forcé de circulation, les émetteurs de monnaies
complémentaires n’auront pour seule ressource leur pouvoir de conviction pour les
faire accepter. Cette confiance ne dépend pas d’une autorité de régulation
lointaine mais d’une vie locale.
Aussi, il nous
semble que l’autorité de régulation pourrait accueillir dans ses services une entité (bureau, personne, membre de son
collège) qui défendrait l’économie alternative. Cette personne pourrait être originaire
de l’économie sociale solidaire. Ce serait assurément donner au texte
même de l’exposé des motifs du projet de loi ESS « en faveur d'un
dépassement du modèle économique classique fondé sur la maximisation des
profits » les moyens de son élan (et de son ambition).
Alternativement, il serait possible de confier
la surveillance des monnaies locales complémentaires à une autre institution
qui serait susceptible de leur assurer un développement local. Un tel organisme
devrait cependant respecter les dispositions de la loi. Néanmoins, défendant
les monnaies locales, il pourrait faire valoir les intérêts de celle-ci.
La formulation de l’article L.311-6 est quelque
peu surprenante : elle oblige les monnaies locales complémentaires
devenues moyens de paiement régulés à être émis et gérés par une banque. C’est
là l’effet de leur soumission au titre Ier du livre V du code
monétaire et financier et surtout de l’article 511-5 qui prohibe l’émission des
services bancaires de paiement par « toute personne autre qu’un
établissement de crédit ». Ce titre ne vise, en effet, que les
établissements de crédit alors que l’on aurait pu attendre – sans le vouloir,
pour une simple question de régime – que les EESS puissent se constituer en
établissement de paiement ou de monnaie électronique (qui composent le titre II,
respectivement les chapitres II et V).
Le titre Ier du livre V connait
aussi des banques mutualistes ou coopératives (chapitre II) ou encore les
caisses de crédit municipal (chapitre IV). On se demande si ce n’est pas ces
statuts que le virtuel article L.311-6 entend réserver aux émetteurs de
monnaies locales complémentaires. Il est vrai que les caisses de crédit municipal
sont souvent considérées comme les émetteurs idoines de ces monnaies. Mais
elles ont le défaut – relatif – d’être des établissements publics dont on se
demande si elles sauront tirer profit du versant dynamique des monnaies locales.
Il reste, que ces institutions sont tenues au
droit bancaire. Pour celui-ci, la dynamique des moyens de paiement repose sur
des campagnes de communication et de publicité. Ce n’est pas là celle des
monnaies locales.
Si l’émission et la gestion de monnaies locales
complémentaires est libre conformément au droit commun des moyens de
paiement ; si la loi prévoit une exemption de plein droit pour les ESSS, il
n’en demeure pas moins que l’autorité de régulation désignée doit appliquer le
droit bancaire. En conséquence, la liberté reconnue à la gestion des monnaies
locales tombe avec le franchissement du critère du « réseau limité ».
Cette frontière n’est pas seulement celle qui oblige à la constitution d’une
banque, c’est également celle qui soumet les titres de monnaies locales
complémentaires au droit commercial bancaire.
Le régime des monnaies locales complémentaires
devenues moyens de paiement régulés s’en trouve directement affecté : il
perd toute liberté.
Pour la monnaie corporelles – les bons ou
titres –, il nous semble cependant que l’établissement de crédit dispose de
larges compétences pour établir un cadre juridique conventionnel par lequel est
peut mettre en œuvre les règles spéciales auxquelles les émetteurs de monnaie
locale recourent (depuis Silvio Gesell, la fonte ou dépréciation par exemple,
ou encore les taxes de sorties, les bonifications d’entrée, etc.). En ce sens,
si l’établissement de crédit peut déroger au modèle du contrat de dépôt – ce
qui n’est pas avéré –, le régime est assez flexible. La confiance reposerait
moins sur le formalisme du droit des moyens de paiement que sur le contrôle
prudentiel de l’établissement.
En revanche, l’émission de monnaie sous forme
électronique (ou a fortiori sous forme scripturale), qui est également une
compétence des établissements de crédit, devra respecter le régime strict
imposé aux émetteurs de monnaie électronique. Celui-ci prohibe ainsi toute
bonification à l’émission, oblige au remboursement sans discrimination des
détenteurs de monnaie électronique, et interdit la fonte – dans la mesure où celle-ci
devra être considérée comme des frais fondés sur des coûts réels. Les monnaies
locales complémentaires sous forme électronique soumises au régime de la
monnaie électronique perdront leur spécificité pour devenir des monnaies
électroniques commerciales. Une carte cadeau, une prépayée n’est pas une
monnaie, c’est confondre l’instrument et la monnaie.
L’effet de seuil devrait inciter les émetteurs
à ne pas franchir le critère du réseau limité ou à explorer les possibilités
d’une intégration poussée avec les accepteurs (ce qui aurait pour ambition de
réunir les collectivités locales et les commerçants, le public et le privé dans
une structure partagée).
Le
principe posé par le virtuel article L.311-5 est incontestablement une avancée
en faveur de l’innovation sociale des monnaies locales. Il pose une
reconnaissance qui s’impose aux autorités publiques. Plus encore, en
définissant les monnaies locales par rapport au droit bancaire, il les assimile
à de la monnaie légale. A défaut, d’avoir cours légal ou même un cours dérivé
de circulation (comme les instruments de paiement de la monnaie scripturale),
ces monnaies deviennent néanmoins des moyens de paiement assimilés à la monnaie
légale. Enfin, d’un point de vue monétaire, ces monnaies locales sont émises à
parité avec l’euro. Elles peuvent alors prétendre au régime comptable de la
monnaie légale.
On ne connait pas encore les
modalités par lesquelles l’ACPR exercera son contrôle sur les émetteurs d’une
monnaie locale complémentaire – il y aura sans doute des décrets d’application.
On sait néanmoins que la prochaine directive européenne sur les services de
paiement obligera les émetteurs bénéficiaires d’une exemption à se déclarer
auprès de l’autorité de régulation désignée (l’ACPR). Dès lors, on peut penser
que la liberté d’émission sera sujette à une déclaration préalable.
Le critère du seuil du « réseau
limité » posé par le droit européen – et qui devrait être enrichi par un
plafond chiffré par la directive en cours de négociation – demeure le principal
obstacle dont il reste à voir comment contester son caractère dirimant. Un
cadre juridique est posé. Un cadre assez général pour un objet juridique nouveau
– les titres de monnaies locales complémentaires – et qui se conçoit encore
assez difficilement dans son rattachement bancaire. La société civile est donc
invitée à innover avec ses nouveaux titres que l’on ne peut s’empêcher de
dresser en miroir de cette titrisation financière dont elle est tout le
contraire sans pour autant perdre en inventivité.